Bonsoir.
Comme l’a dit Winoc, nous allons échanger ce soir sur un thème qui a émergé lors de nos discussions après qu’il m’ait présenté le concept de « permaentreprise ». Un des éléments qui m’a paru mériter attention dans ce système de management, c’est l’invitation faite à l’entreprise de se fixer des limites. Puis j’ai entendu un chef d’entreprise sur cette question et j’ai trouvé ce témoignage fascinant. Je ne suis pas spécialiste en gestion d’entreprises mais tout cela m’a semblé neuf, original et pour tout dire provocateur. En échangeant avec Winoc, nous nous sommes dit que cela valait bien une petite réflexion « en amont ».
Je suis Jean-Marc Liautaud, j’ai 63 ans, je suis marié et père de deux grands jeunes gens. Après une assez brève carrière d’ingénieur des Eaux et Forêts, j’ai réorienté mon engagement professionnel vers la formation humaine et spirituelle dans une association chrétienne et j’ai repris des études en philosophie et théologie. J’ai validé un doctorat en théologie en 2021. Je vais aborder avec vous ce thème des limites dans une optique philosophique, c’est-à-dire ouverte et pas « confessionnelle ». Nous allons échanger « à raz d’humanité », dirons-nous, afin de percevoir quelques pistes de sagesse qui sont communes àbeaucoup de traditions philosophiques et spirituelles de l’histoire.
Avant de commencer ce topo qui durera une vingtaine de minutes, je vous propose d’entrer dans le thème par l’expérience. Merci de prendre un morceau de papier et de quoi écrire si vous le pouvez. Sinon vous ferez l’exercice mentalement.
Je vous demande tout d’abord de repérer et d’écrire une limite d’ordre physique qui se signale à vous soit depuis longtemps(par exemple, dans mon cas, j’ai un reflux œsophagien et cela limite la quantité d’alcool que je peux boire le soir) ou bien en ce moment (par exemple, dans mon cas, je suis fatigué depuis une grippe mi-février et mon agilité mentale est plus limitée que d’habitude).
Puis je vous propose de repérer et d’écrire une limite d’ordre relationnel qui se signale à vous, soit depuis longtemps (dans mon cas, je n’ai jamais su communiquer de manière simple avec mon frère et cela limite l’harmonie familiale), soit en ce moment (dans mon cas, j’ai une collègue dont les réactions me désarçonnent et cela limite mon confort dans certains dossiers).
Enfin, je vous propose de repérer et d’écrire une limite d’ordre professionnel qui se signale à vous en ce moment (dans mon cas, le tiers lieu sur lequel je travaille est en travaux et cela limite certaines de mes activités).
Maintenant je vous propose (cela restera strictement pour vous, il n’y aura pas de mise en commun) d’écriresincèrement, face à chacune des limites que vous avez pointées, le sentiment qu’elle provoque en vous le plus souvent. Soyez authentique et tentez de cerner au plus près le mot qui convient (consentement, repos, découragement, lassitude, exaspération, etc.) mais sans trop réfléchir, de manière spontanée autant que possible.
Je vous laisse un peu de temps pour aller au bout et nous reprendrons au bout de quatre minutes.
Mon topo va tourner autour de trois thèmes. Pas mal de choses que je vais dire vont résonner en vous comme des évidences, mais cela n’est pas grave, c’est même plutôt bon signe. Comme le disait un de mes professeurs de philosophie, un philosophe c’est avant tout quelqu’un qui énonce des évidences, des choses que tout le monde vit tout le temps, mais qui tente de le dire de telle manière que cela fasse bouger notre regard. Je le ferai à travers trois images, trois conceptscomplémentaires. Mon topo sera un bref voyage à travers trois visages complémentaires de l’expérience de la limite : un« donné », une « cloison », une « arche ».
1) La limite comme « donné » – ou l’acceptation d’une condition
Qui d’entre nous a demandé à naître ? Et si oui en échange de quoi ? La réponse est évidente : personne n’a demandé à naître à ses parents et personne n’a rien donné ou promis en échange de cela. Notre existence, en tant que telle, ne relève pas du contrat ou de la réponse à un désir qui serait nôtre. Si désir il y a eu (mais ce n’est pas toujours le cas), c’était le désir d’enfant des parents.
En d’autres termes, notre existence relève entièrement du régime du « don ». Vivre, vivre en ce monde, c’est donné – et ce don précède notre désir. On pourrait dire beaucoup de choses très importantes à partir de ce point de départ, en particulier que les deux faces de cet événement (donner la vie et vivre) constituent dès lors un risque, comme tout don. Mais ce sur quoi nous allons nous arrêter plus particulièrement ce soir c’est la forme de ce qui est reçu.
Qu’avons-nous reçu en partage, en « cadeau » ? Un corps vivant, pensant et parlant en ce monde, un monde qui est comme il est et pas autrement. Tous les philosophes s’accordent sur ce point. Et ce corps qui est nôtre, qui est plus que notre maison mais le lieu même de notre « être dans le monde », est structurellement marqué par des limites de tous ordres. Pourquoi ? Parce qu’il est un des objets qui peuplent cet univers, et que dans l’univers matériel tout est limité.
Exister (et pas seulement pour un humain mais pour tout objet de ce monde) c’est exister dans une limite. Pour autant que l’on sache, la seule chose qui soit probablement illimitée dans l’univers tel que les sciences le déchiffrent, c’est le vide intersidéral, et… justement… c’est du vide, c’est-à-dire… rien ! Dès qu’il se met à y avoir « quelque chose », ce « quelque chose » doit accepter d’être doté de limites, et cela dans deux dimensions :
– L’espace : même la plus grande des galaxies a un contour, elle n’occupe pas l’entièreté de l’univers. Pour qu’une chose « soit » il faut qu’elle ait un contour, et un contour c’est, justement, une limite spatiale.
– Le temps : la question de savoir si l’univers a commencé à un moment du temps ou s’il est le résultat d’un cycle infini n’est pas tranchée, donc nous allons la laisser de côté. Mais ce qui est certain c’est que ce qui peuple aujourd’hui l’univers a commencé à un moment du temps. Donc cela n’existait pas « avant » ce moment. Et de la même manière, même les étoiles meurent. Ici aussi nous avons une double limite, temporelle, en amont et en aval.
Revenons à notre corps humain et à tout ce qui nous entoure : la limite est partout. Être né en telle année, cela signifie ignorer à tout jamais ce que cela signifiait de vivre avant cette époque. Avoir grandi dans tel pays, dans tel milieu, cela signifie ignorer à tout jamais ce que cela signifie de vivre son enfance dans les autres. Avoir grandi dans un corps masculin, c’est ignorer ce que cela signifie de vivre l’humanité comme femme, et vice-versa. Bref, la limite est partout, et il y a infiniment plus de choses que nous ne pourrons jamais faire que de choses que nous pouvons faire, à bien y réfléchir.
Vous voyez où je veux en venir : la question de savoir si nos limites sont, ou pas, des prisons est un peu futile car nos limites, dans leur immense majorité, sont, un point c’est tout ! Elles font partie du paquet qui s’appelle « la vie », et elles ne nous demandent pas la permission d’être là ou pas.
Face à un constat de ce genre, qui nous renvoie au fait que nous ne pouvons pas manipuler à notre guise le « donné »indéfiniment, il n’y a que deux solutions : se révolter ou respirer et accepter. Être un ami de mon corps, cela signifie pour une bonne part accepter qu’il a des limites. Idem, être un ami de mon conjoint, de mes amis, de mon travail, etc.
Mais, en régime d’humanité, les choses ne sont pas si simples. Pourquoi ? Là encore les philosophes sont globalement d’accord : parce que nous autres, les humains, nous avons une manière très particulière d’être intégrés dans ce monde avecnos corps limités. Nous sommes également habités par un langage et une pensée (les deux faisant la paire : nous pensons parce que nous parlons et qu’on nous a parlé, nous parlons parce que nous pensons). Bref, nous sommes des « parlêtres », comme disait Jacques Lacan. Or, notre langage et notre pensée ont une caractéristique étonnante : bien qu’ils soient fabriqués dans des corps cernés par la limite, ils ont capacité de s’affranchir des limites. La preuve : nous pouvons concevoir le concept d’infini, , de totalité, ce qui est une prouesse si on y réfléchit bien ! Comment un corps et un cerveau aussi réduits que les nôtres peuvent-ils penser l’infini ? Là encore, voici un thème qui a fait les choux gras de bien des philosophes…
Sans entrer dans des considérations qui dépasseraient le cadre de notre causerie, ce qu’on peut constater simplement ici c’est que, du coup, il y a en nous deux réalités qui ont du mal à s’emboîter parfaitement. Notre corps vit, ressent et exprime sans cesse la limite, alors que notre esprit et notre langage peuvent flirter sans problème avec l’infini, le plus, l’autre. Vous n’êtes pas en Chine en ce moment mais il vous suffit d’un instant pour vous y rendre par la pensée. Vous avez tel âge, tel sexe et telle profession, mais par votre imagination vous pouvez quand vous le voulez vivre dans un autre corps, un autre âge, une autre situation. Bref, vivre comme un humain, c’est sans cesse vivre en équilibriste entre intégration et dépassement de la limite, entre acceptation et transgression. Et cela n’est ni bien, ni mal a priori : cela est, tout simplement.
On peut dire les choses autrement : une des limites propres à l’être humain, c’est d’avoir du mal à entretenir un rapport simple à ses limites, à cause de cet assemblage assez détonnant, en lui, de corporéité et de pensée/langage. Et cela nous emmène tout droit à notre deuxième volet
2) La limite comme « cloison » – ou la force de nos mentalités techniciennes
Tout en nous est limité et pourtant la pensée de l’illimité (ou du « au-delà des limites ») nous habite. C’est notre condition humaine, et elle est tout sauf confortable ! Du coup, qu’allons-nous faire ? Ce que nous faisons depuis des millénaires : conduire nos vies en forme de slalom : nous ne contentons pas d’enregistrer les limites, nous jouons avec elles. Et cela a des effets assez étonnants et même uniques dans l’histoire du vivant sur la Terre : nous sommes l’espèce qui déplace ses limites.
En effet, pour toutes les espèces vivant sur la terre, les limites « données » par leur condition sont des « murs » qui ne peuvent pas être franchis. Aucun pingouin ne peut vivre au Sahara, aucun crocodile en Norvège. Tout végétal, tout animal existe, peu ou prou, dans un cadre auquel son espèce est adaptée. Ce n’est pas le cas pour nous ; pour l’humanité, les limites sont très souvent des cloisons que nous pouvons déplacer, individuellement ou collectivement, et cela est dû, justement, à la puissance de notre mental qui conçoit et voit plus loin que la limite d’aujourd’hui.
Ce processus est en route depuis l’aube de l’humanité et c’est lui, en fait, qui façonne nos cultures, qui ne sont finalement qu’une manière de faire reculer, de transgresser les limites imposées par notre « animalité ». En fait, depuis l’aube de l’humanité, l’humanité est prise dans une forme de dialectique, de tension entre la pente qui lui fait accepter leslimites et la pente qui la pousse à transgresser ces limites. La pente qui pousse l’humanité à dépasser sans cesse les limites se trouve dans ce que j’appelle, avec le philosophe Éric Weil, dans la mentalité « technicienne » qui est aussi vieille que l’humanité, depuis que les premiers hominidés ont découvert qu’avec des pierres taillées ils pouvaient mieux découper la viande et tuer leurs proies. Depuis ces temps anciens, la mentalité technicienne nous pousse à ne pas nous contenter de nos limites, qui sont faites pour être dépassées par la puissance de notre esprit. La mentalité technicienne nous dit : « tout est peut-être possible, si nous savons nous y prendre. »
La pente qui, à l’inverse, nous pousse à l’acceptation des limites se trouve dans les traditions qu’on peut appeler « de sagesse », qui mettent l’humain en garde contre un dépassement, une transgression qui pourraient l’amener hors de lui-même et le conduire à sa perte. La plus représentative de ces traditions est le stoïcisme, une école philosophique de la Grèce antique qui enseigne que la sagesse consiste à vouloir tout ce qui arrive, tout ce que la vie nous impose, même le pire, même le plus limitant. Tu perds une jambe ? Un œil ? Réjouis-toi et fais offrande de cette jambe, de cet œil, à l’Univers. C’est la seule manière d’être heureux. Mais même bien au-delà du stoïcisme, toutes les traditions spirituelles, finalement, visent à faire « respirer » l’humain dans des limites acceptées, assumées, pour y trouver son bonheur. Remarquons qu’au plan de nos sociétés, c’est le rôle de la « loi » de fixer des limites au désir et à la liberté de chacun, pour que chaque autre soit respecté. La loi, en principe, donne une forme à la sagesse d’un peuple.
Il n’y a pas l’une de ces mentalités qui seraient « bonne » et l’une « mauvaise ». Les deux existent et cohabitent, c’est le propre de cet « équilibriste » qu’est l’humain. Depuis l’aube de l’humanité, mentalité technicienne et mentalité de sagesse s’épaulent et se complètent, travaillent l’une avec l’autre, l’une sur l’autre. On le voit bien avec le christianisme, par exemple. Dans les Évangiles, l’une des activités principales de Jésus est de guérir des malades, des infirmes. Il ne leur dit pas : « Accepte tes limites d’aujourd’hui » mais « Lève-toi et marche ». Cela suppose que, pour lui, toutes les limites ne sont pas heureuses mais que certaines sont faites pour êtrerepoussées. Cela a profondément influencé la mentalité occidentale, imprégnée de christianisme, et nous a conduits, collectivement, quelques siècles plus tard (en gros au 17èmesiècle) à inventer, en Occident, la notion de « progrès », l’idée selon laquelle la science et la technique allaient nous aider à faire indéfiniment reculer nos limites dans tous les domaines. C’est ainsi que nous sommes capables aujourd’hui d’aller plus vite, plus loin, de vivre plus longtemps et en meilleure santé, possédant une foule d’objet et de facilités que même un roi n’aurait pas pu rêver posséder il y a seulement cent ans. Selon cette croyance, il n’y a plus de murs pour l’humanité, seulement des cloisons à déplacer à volonté. Le transhumanisme illustre très bien, aujourd’hui, cette visée d’une existence humaine délivrée de ses limites.
Seulement, voilà : si on oublie qu’il y a aussi des murs, et pas seulement des cloisons, on risque fort de prendre ces murs en pleine face. Si seule la mentalité technicienne est aux commandes de notre humanité, si la mentalité de sagesse fait défaut, la limite revient et se venge, tout simplement parce qu’elle fait partie du « donné ». Comme vous le savez certainement, aujourd’hui, les scientifiques nous montrent que six des neuf limites planétaires sont dépassées, ce qui signifie que nos modes de vie et de production ont mis en péril l’ensemble du complexe système « terre » qui nous porte intégralement.
3) La limite comme « arche » – ou le recours à la sagesse
Cela nous amène à notre dernier point. Nous vivons une époque très singulière où un mur que nous avions oublié revient nous percuter en pleine face, collectivement. La mentalité technicienne a voulu nous faire croire que toute limite pouvait être dépassée, qu’il n’y avait en fait que des cloisons. Il suffit d’un tout petit peu d’honnêteté pour nous rendre compte aujourd’hui que, collectivement, les limites sont dépassées et que notre manière de produire et de consommer nous conduit au désastre si nous ne changeons pas rapidement nos imaginaires du bonheur, de la vie « bonne », et nos modes de vie, qui consomment cinq fois ce que la planète peut nous donner. Mais nous sommes désemparés car, comme la question est collective, nous ne savons absolument pas comment la prendre au plan individuel. Il n’y a clairement pas de solution magique, cela se saurait, et il serait trop triste que les solutions soient uniquement légales, c’est-à-dire qu’on attende intégralement des lois qu’elles fixent des limites (forcément contraignantes car imposées de l’extérieur) à notre mode de vie prédateur. Les lois sont importantes, elles évoluent et vont continuer d’évoluer, très certainement dans le sens d’une criminalisation croissante des atteintes à l’environnement. Mais à côté de la loi, et plus profond qu’elle, il y a un chemin, celui que tracent depuis toujours les traditions de sagesse. Si nos lois ne rencontrent pas notre sagesse, elles ne sont pour nous qu’une pure contrainte que nos esprits rejettent et que nous cherchons à contourner, ce qui entraîne des problèmes sans fin. Et pour la Sagesse, la limite est peut-être un mur, un mur qui fait mal quand on s’y cogne, mais ce mur n’est pas celui d’une prison, c’est celui d’une arche.
Qu’est-ce qu’une arche ? C’est un espace suffisamment clos pour inspirer une profonde sécurité à celui qui s’y trouve abrité, et suffisamment ouvert pour respirer vers l’extérieur, permettant la relation. Il est tout à fait intéressant que la Bible mentionne une arche justement au moment où, dans la Genèse, l’humanité ayant dépassé toute limite dans la méchanceté, Dieu décide de brouiller les limites qui protègent la Terre et de tout renvoyer au chaos. Cet appel de la sagesse résonne à travers toutes les traditions spirituelles et il peutnous atteindre de manière absolument nouvelle, individuellement et collectivement, aujourd’hui. Où est mon arche ? Où est notre arche ? C’est-à-dire, quelles sont les limites à l’intérieur desquelles je vais décider d’habiter joyeusement pour y vivre mon humanité dans une forme de paix, là où je consentirai à ce que « tout » ne soit pas possible, que « plus » est peut-être moins ? La perma-entreprise me semble pointer dans ce sens. L’idée est que rêver une expansion, une croissance infinie n’est pas bon pour la santé, et donc qu’il vaut mieux anticiper en pleine conscience la limite, la choisir, plutôt que de la subir sur le mode de la frustration et de la colère, comme le cousin de Harry Potter qui explose de rage parce qu’il n’a eu que 36 cadeaux d’anniversaire cette année au lieu de 37 l’année précédente.
Quand on est à l’abri dans une arche, cela ne veut pas dire qu’on renonce à faire bouger toutes les cloisons. Certaines limites continueront à être challengées et franchies, par exemple certaines croyances sur nous-mêmes ou sur les autres. Cela signifie qu’on n’a plus peur de nommer et de respecter des murs qui « donnent forme » à notre être (celui de notre personne, de notre couple, de notre entreprise, etc.). Un des critères qu’on a consenti à habiter une arche, c’est-à-dire qu’on renonce à être « tout », c’est qu’on laisse de la place pour les autres (même ceux qui nous gênent ou qui nous marchent sur les pieds et qui ont autant que nous le droit d’exister). Choisir consciemment de ne pas être « tout », c’est consentir à ce qu’il y ait de « l’autre », c’est-à-dire, déciderque mon « moins » (d’espace, de capacité, de richesse, de pouvoir) peut être un « plus de relations ». C’est dans ce sens-là qu’on peut dire « moins, c’est plus », pas dans le sens d’un ascétisme un peu masochiste. Dans une arche, effectivement, « moins c’est plus » : cela signifie que dans une arche on consent à ne pas pouvoir vivre seul, à avoir fondamentalement besoin de l’autre, qui est toujours un peu un emmerdeur si je le laisse être lui-même, c’est-à-dire différent de moi. Ainsi, nos arches entrent en relation et cela crée une constellation d’entités consciemment et joyeusement interdépendantes, même si bien sûr cela nous renvoie aussi régulièrement à l’expérience toujours un peu frustrante de nous heurter à des limites.
Les lois vont évoluer car nos sociétés sont capables d’apprentissages, et demain certaines choses que nous trouvons naturelles et légitimes seront probablement interdites et punies comme intolérables à l’égard des limites planétaires. N’attendons pas ce moment pour apprendre l’auto-limitation, inspirées par la sagesse qui nous invite, chacune et chacun, dans les arches qu’elle nous aidera à construire et à habiter comme autant de tentes où il fera bon vivre avec les autres.