La Permaentreprise, réponse à un système économique à bout de souffle ?

7 mars 2022

La dérive de l’économie de marché met en péril notre bien commun, la Terre, comme la possibilité que les femmes et hommes y mènent tous une vie digne. Ce n’est pas une fatalité. De nouveaux modèles de production sont prometteurs.

Les entreprises s’interrogent depuis longtemps sur leur rôle dans la société. La seule perspective capitaliste – « enrichir les actionnaires » – a fait long feu, au profit de la prise en compte de son environnement social, économique et environnemental. Par réalisme pour les uns -« on ne peut s’enrichir dans un océan de pauvreté »-, pour répondre à de réelles convictions citoyennes pour d’autres, ou enfin pour s’adapter aux attentes de consommateurs toujours plus informés, les motivations sont multiples. L’évolution du cadre juridique et réglementaire et la mise en place de certaines normes ISO, des premières lois RSE jusqu’à la loi Pacte en passant par l’expansion des labels privés (BCORP), haussent parallèlement le niveau d’exigence et de contraintes qui pèsent sur les entreprises.

Tout cela va sans doute dans la bonne direction, produit ici et là des réponses innovantes, accélère l’éclosion et la transformation de nombreux marchés (bâtiment, transport, alimentaire, vestimentaire, par exemple) et donne aux entreprises la possibilité de mieux répondre aux besoins de leurs parties prenantes (circuits cours, recyclage, seconde vie des produits).

Et pourtant…, c’est largement insuffisant. Chaque jour nous permet de constater les signes d’un système incapable de se réguler, d’apporter des réponses à la hauteur des défis humains, écologiques et économiques qui sont les nôtres. 

Et cela a maintenant une traduction quotidienne et concrète. Quelques exemples : selon un sondage Opinionway, commandé par l’ANDRH, le taux de de détresse psychologique est de 48% chez les managers, et de 44% chez les non-managers*. Le même jour nous apprenons la perte annuelle de 650 milliards d’heures de travail en raison de chaleurs intenses d’après la revue Environnemental Research letters de janvier 2022. Sans parler de la flambée des matières premières ou du coût de l’énergie – largement compensé en France par l’intervention des pouvoirs publics) qui impactent les chaines logistiques et participent à l’inflation.

L’entreprise est l’acteur clé de cette mutation devenue indispensable.

Si elle n’est pas le seul agent économique concerné par les causes et les conséquences de ces défis, elle est certainement celui qui a le plus d’expérience et de compétences pour y faire face, grâce à son expérience de la gestion du changement, sa capacité à mobiliser des capitaux rapidement, à faire preuve de créativité et d’innovation et à inscrire son action dans le long terme. Lemahieu, Bio Demain, Lamazuna, La vie est Belt, Armor en sont, parmi bien d’autres, heureusement, de beaux exemples.

Une initiative nous semble mériter une attention toute particulière. Il s’agit du modèle de la Permaentreprise, inspiré de la Permaculture, mis au point par Sylvain Breuzard et ses équipes, au sein de l’entreprise Norsys. Ce modèle de production commence à essaimer, chez Nuageo et Serda Archimag par exemple.

De quoi s’agit-il?

A l’instar de la permaculture, ce modèle de production s’inscrit dans le respect de trois principes éthiques indissociables : le respect de la planète, prendre soin des Hommes, et enfin se fixer des limites et partager les surplus. 

Alors que la grande majorité des démarches RSE viennent « en plus » du cœur de métier de l’entreprise, la Permaentreprise se situe au cœur de celui-ci. Et c’est sans doute cela qui en fait un ‘game changer’.

Ce modèle porte en lui-même un état d’esprit facilitant la définition et le pilotage d’un projet d’entreprise performant en faveur de l’intérêt général, en questionnant l’agencement des parties prenantes, en optimisant l’utilisation des ressources, en cherchant même à les régénérer !

Comment déployer ce modèle ?

Il s’agit, dans un premier temps, de définir une raison d’être qui intègre les trois principes éthiques, puis d’en définir les enjeux, les objectifs et les projets. Tout cela ne pouvant naturellement se faire qu’avec l’engagement des parties prenantes de l’entreprise, et en particulier ses actionnaires, ses fournisseurs et ses salariés. 

Quels bénéfices à devenir une permaentreprise ?

En plus d’accroitre son attractivité auprès de ses salariés, ses fournisseurs et des pouvoirs publics, ce modèle permet d’offrir des services à forte valeur ajoutée pour ses clients, comme en témoigne Louise Guerre, dirigeante du groupe SEDA Archimag (Data management et gouvernance de l’information) : « un de nos objectifs « perma » était de baisser le poids (en octets) d’un scan ou d’un fichier pour que cela affecte le moins possible le bilan carbone de nos clients. Ces derniers se sont montrés très intéressés par cette démarche et se sont impliqués avec nous dans la création d’un référentiel ».

Alors, tous permaentrepreneurs?

Les premiers pas posés par ceux qui se sont engagés dans la permaentreprise* sont prometteurs, et démontrent que c’est un modèle de production efficace, comme sa grande soeur la permaculture. Il s’agit d’une démarche innovante, inclusive et cohérente, nécessitant d’avoir au préalable un dialogue social constructif, une culture managériale responsabilisante, et des dirigeants ayant la possibilité d’inscrire leur action dans le moyen/long terme. 

*le Monde, 19 janvier 2022

**Nuageo, Groupe Serda, Norsys, APSI, TMC Innovation, Sygmatel

***Les images sont issues du livre « La permaentreprise » de Sylvain Breuzard, illustré par Stéphane Appert

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