Président du Comité Exécutif de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France (SGDBF)
Rencontre d’un dirigeant qui a accepté de faire un retour d’expérience du coaching de son équipe de Direction. Nos premiers échanges ont démarré au printemps 2022. Le coaching de l’équipe a débuté en septembre 2022 jusqu’en décembre 2023. Vents Portants est intervenu à huit reprises en Comité Exécutif pendant cette période pour des durées variant d’une demi-journée à une journée. Nous avions un entretien individuel avec Patrice Richard entre chaque séance d’équipe.
Pilote de cette mission pour Vents Portants, et rédacteur des lignes qui suivent, je me suis interdit d’intervenir sur le contenu qui suit. Le cheminement de Patrice Richard, sa lucidité, sa clarté, la qualité de ses réflexions sans langue de bois, sont un matériau « en or » pour de nombreux acteurs qui exercent cet art ô combien complexe de Dirigeant d’entreprise.
Winoc Deleplanque
Patrice Richard, y-a-t-il eu un événement particulier qui a déclenché le coaching du COMEX de SGDBF ?
Patrice Richard : C’est apparu un peu par hasard. J’avais conscience qu’un certain nombre de choses ne plaisaient pas à tout le monde. Je passais un peu en force en interrompant des réflexions parce que je pensais que c’était fini, ou en ouvrant un sujet parce que je pensais que c’était vraiment très important. Une position de maître du temps pas forcément comprise. C’était un schéma un peu dictatorial. Il y avait quelque chose d’unique qui ne pouvait plus durer. A partir du moment où les gens sont bons, ils ne veulent pas être traités comme des machines dont on débranche le fil. C’est l’apparition de signaux faibles qui a vraiment déclenché cette initiative. J’avais demandé à une responsable des ressources humaines d’enquêter auprès des membres du Comex : en quoi pouvaient-ils avoir besoin d’une formation managériale plus approfondie? J’ai mis cette ligne à l’eau, et elle m’a rapporté un tas de signaux inattendus. Ce fut un point extrêmement important : envoyer des « lignes à l’eau » pour capter des signaux faibles, même s’ils ne ramènent pas du tout ce qui était attendu.
C’étaient des points d’incompréhensions et d’irritations sur le fonctionnement du Comex, avec une interrogation : de quoi est-ce le lieu ? J’ai été irrité pendant dix minutes, parce que c’était quand même un affront par rapport à la façon dont je menais tout ça… et puis j’ai trouvé que c’était important. Je discute alors avec un de mes proches collaborateurs qui me dit du bien de ce que Vents Portants a fait à l’Asturienne, une des enseignes du groupe. La confiance étant transitive, je rencontre Vents Portants et on avance.
En parallèle, mon évaluation 360° me permettait de dénouer un point assez gênant. Je m’étais mis dans un espèce de ciel, avec mes bijoux à moi dans lequel il y avait la Plateforme du Bâtiment (enseigne du groupe SGDBF) que j’avais créé, Ambition 2025 (démarche stratégique collaborative) que j’avais lancée avec le soutien de la Co-entreprise(cabinet spécialisé dans la facilitation de processus collectif), le projet de « construire en terre »: des choses tellement belles qu’elles ne supposaient même pas la reconnaissance des autres autour de moi. Elles étaient absolues. Je n’avais pas besoin de leur reconnaissance par ce que j’avais mon monde et quelque part, je les traitais comme des gens qui n’avaient pas atteint ce niveau de perfection. Je sentais que ça n’allait pas très bien et qu’il y avait un petit truc qui commençait à foirer. Au moment où on commence à bosser avec Vents Portants, le débriefing du 360° dit : « attention à ce que cela ne devienne pas une identification ». « Vous n’êtes pas que ces sujets-là. Regardez ce que disent vos collaborateurs. » En dix jours, je descends sur terre. Cela faisait longtemps que je n’étais pas descendu : je descends au milieu des miens, je prends conscience de leur reconnaissance, je n’ai plus besoin d’aller dans mon ciel et je le vis d’autant mieux qu’arrive la démarche que nous construisons avec Vents Portants. Voilà le déclenchement.
“Décider ensemble de tout rassure mais crée beaucoup moins d’énergie que de laisser l’autonomie de la décision dans un cadre !”
Vous étiez donc prêt à engager ce travail. Qu’en est-il de votre équipe ? Y a-t-il eu des freins ?
PR : Il n’y en a eu aucun. Le Comex a été très positif pour traiter des sujets qui n’apparaissaient pas, dont on ne parlait pas. Moi-même j’étais soucieux d’avancer individuellement et collectivement. La démarche « Ambition 2025 » facilitée par la Co-entreprise m’a appris à me confier à un processus. Je ne sais pas ce que Vents Portants allait faire et je m’en fichais. On allait vers quelque chose. Vous aviez une espèce de réputation qu’on m’avait garantie et je me suis dit « On y va !». L’équipe, ne me voyant pas douter, s’est embarquée dans votre accompagnement. Personne n’a mis son véto. Il y a eu des petits moments de flottement dont on avait un peu parlé. Mais bon, « Patrice prend la décision de s’ouvrir enfin à un an de son départ, c’est pas mal. Sachant qu’il est assez reconnu dans les étages, pourquoi s’embête-t-il à faire cela » Cela a été vu comme du courage et formulé comme tel.
Tu viens de mentionner le mot « ouverture ». Cela ne va pas de soi, loin s’en faut, dans un comité exécutif ?
PR : C’était l’objectif ! Celui de mettre à plat les signaux faibles. J’avais recueilli tellement de signaux faibles que je n’avais pas vu, je suis désolé de cela. Il faut se parler, mettre les choses à plat et avancer ensemble. Ils étaient prêts à cela. L’objectif était de s’exprimer sur les non-dits sachant que je souhaitais également affirmer que le Comex est l’endroit de l’émergence de l’intelligence collective et non un comité de direction qui allait prendre des décisions comme un seul homme pour rassurer tout le monde. J’avais une grande méfiance de la part de certains qui voulaient que chaque membre du Comex reparte avec son package. Or, on ne peut prendre ici une décision qui s’applique à tous. Par contre, on va beaucoup réfléchir au cadre, le peaufiner, le définir de façon à ce que soit clair pour chacun. Est-ce que dans ce cadre-là, vous, membre du Comex, êtes capable de prendre une décision pour votre Business Unit ou votre direction fonctionnelle? Ce ne sera pas la même décision pour l’un ou pour l’autre mais dans ce cadre dont on a convenu, c’est ok ? C’est l’autonomie dans le cadre.
Ce préalable de « fixer le cadre » est apparu comme une méthode de fonctionnement. Ce préalable du cadre, c’est l’objet d’un comité exécutif. Ce n’est pas de décider ce qu’on met dedans. C’est très important comme différence. Décider ensemble de tout rassure mais crée beaucoup moins d’énergie que de laisser l’autonomie de la décision dans un cadre ! « Je vais prendre ma décision, donc j’y vais ». Pas de « ce bout de décision m’ennuie, ce n’est pas tout à fait moi ». Cela positionne bien chacun comme patron. En résumé, donc « mettre à plat » puis, grâce au processus d’élaboration de la raison d’être et des rôles, positionner le COMEX comme le lieu de l’intelligence collective.
Quelles ont été les étapes de cet accompagnement ?
PR : Ce fut lent et doux, à la vitesse de l’humain, avec des intervalles assez longs, par touches successives. Vous nous avez amenés à construire quelque chose dont nous étions vraiment contents. Je suis incapable de te dire les différentes étapes, mais c’était quelque chose de très continu, dans lequel votre présence était presque légère. Le travail nous revenait. Vous nous avez mis sur les épaules la responsabilité de nous construire dans nos relations. Cela a permis à chacun de prendre des responsabilités, d’avoir un temps de parole plus homogène. Avant, il n’y avait que les gros (business) qui parlaient, et en plus, ils avaient tous fait la même école. On est un collectif, il faut que chacun ait sa part. Au fond, il faut faire confiance dans le fait de se faire accompagner par des gens de qualité. Comment tu sais qu’ils sont de qualité ? Tu n’en sais rien. Tu fais ton pari et tu y vas, les yeux fermés. On voit ce qui se passe et on compte à la sortie.
“Vous nous avez mis sur les épaules la responsabilité de nous construire dans nos relations.”
C’est étonnant de parler de douceur dans un tel contexte !
PR : On était arrivés à un niveau de maturité qui faisait que ce n’était plus un endroit de concurrence entre tel ou tel mais chacun était là pour construire un truc collectif dont chacun peut recueillir les fruits et sur lequel il peut s’appuyer. Chacun apporte son regard, alors qu’avant il n’y avait que les dirigeants des unités importantes qui parlaient, et les autres étaient un peu spectateurs … Avant, je donnais la parole en fonction du chiffre d’affaires des membres de l’équipe.
Le but n’est pas d’être doux pour être doux, mais à partir du moment où le Comex est l’endroit de l’intelligence collective, l’endroit qui amène chacun à faire part de ses questions et de ses doutes, c’est mieux si c’est doux. La douceur est peut-être une condition de l’ouverture. Alors que si c’est dur on repart avec nos frustrations, nos doutes, nos victoires sur l’autre.
Qu’avez-vous appris collectivement ?
PR : Plusieurs choses fondamentales. Que l’on ne se connaissait pas bien, malgré les années passées ensemble ! Également l’intérêt d’avoir des rôles respectifs (méta, vigie, scribe…) qui ont complètement métamorphosé la dynamique, chacun étant deux choses à la fois : tu es membre du Comex, tu arrives avec ton sac à dos, avec tes propres inputs liés à ta fonction, et en plus tu as un rôle pour assurer la dynamique de l’équipe, qui te permet de prendre du recul par rapport à ce qui se passe, qui te responsabilise pour faire fonctionner le collectif.
A un moment donné, c’est intéressant d’avoir un rôle, comme le « méta », qui intervient pour dire que l’on ne s’écoute plus. Et puis il y a cette espèce d’entraide, par exemple il y a celui qui présente son sujet, et tout le monde fait part de ses attentes avant qu’il ne commence. C’est quand même nettement mieux que de regarder le mec se planter sans trop savoir comment faire pour l’interrompre ou de se dire « ouais bof ». C’était très très puissant de mettre en place ces rôles.
La raison d’être du Comex était un apprentissage important. Nous y avons écrit « intelligence collective » et on l’a mis en pratique. L’un de nous a émis l’idée suivante : « comme le business va être très dur, il faut que l’on s’ouvre chacun face au collectif ». Ce n’est pas si facile, montrer où on en est, mettre à plat son business devant tout le monde. Le collectif a appris qu’il est plus fort que l’individu car on voyait en Comex les pairs faire ensemble un débriefing plus puissant que ce que chacun pouvait faire isolément. En tant que patron, tu te dépossèdes. Le groupe gagne en efficacité à s’évaluer, s’envoyer des feedbacks, dans un processus totalement inédit.
Au début de notre entretien tu parlais d’un “schéma un peu dictatorial” et là dans les exemples que tu nous donnes, cela ressemble plus à un chef d’orchestre. Comment es-tu passé de l’un à l’autre ?
PR : C’est un processus continu. Je pense qu’on me nomme il y a 14 ans à la tête de SGDBF parce que je suis assez puissant pour faire des présentations impactantes, pousser des idées top down, créer une pression presque dictatoriale autour de quelques kpi. Je prends conscience de tout cela assez rapidement. Ambition 2025 (démarche stratégique collaborative) m’oblige à me défaire de ces points qui étaient une force et deviennent un handicap, au point que je dis aujourd’hui « je ne laisserai personne faire ce que j’ai fait ». Ambition 2025 m’a jeté à l’eau, puis il y a eu le travail avec Vents Portants. Je me suis senti porté par la vague, vraiment physiquement.
A un moment donné, je me suis dit que ce n’était pas la peine de tout décider, d’être le chien de traîneau qui traînait tous les autres comme des boulets. Puis j’ai vu les gens devant, et moi derrière. Au bout de trois mois, j’avais fait la bascule. Dans un travail de groupe, chacun devait dire sa bonne résolution. La mienne était « Moi je vais enterrer mon ego au fond de mon jardin » ; un membre de mon équipe a répondu « ma bonne résolution, ça va être de surveiller que tu l’as bien enterré ». On pouvait en plaisanter, donc c’était d’une certaine façon déjà acquis .
Je regrette profondément de ne pas avoir pris la décision de faire ce travail avec vous plus tôt. J’ai généré de l’inefficacité et de la souffrance pendant 2, 3 ans.
“En tant que patron, tu te dépossèdes”
Quel message apporterais-tu à un dirigeant qui hésite à s’engager dans un coaching d’équipe ?
PR : Se faire aider, c’est un signe de force. Tu es suffisamment en puissance sur ton métier pour accepter de te mettre à nu, de te faire un peu lapider, sans en « mourir »… et après tu reconstruis peu à peu. Pourtant cela n’était pas naturel chez moi, je me suis fait aider, j’ai été influencé par des gens de l’extérieur : Jose Manuel Sarceda, la Co-entreprise, Vents Portants. A plusieurs reprises, il y a eu quelqu’un qui m’a amené à réfléchir, à voir les choses autrement. Se faire aider est une force, vos collaborateurs seront admiratifs du risque que vous prenez. Ils se mettront au niveau des problématiques que vous n’arrivez pas à résoudre. Ils viendront vous aider là où vous êtes, sans vous détruire. Mon ex-boss disait : Faites-vous aider et faites-le savoir. C’est très transitif. Quand je me fais aider, d’autres se font aider. Il faut le faire savoir.
En parallèle, je dirai « Ayez des capteurs de signaux faibles pour que la merde remonte ». Et si vous pensez que les gens qui vous disent des choses difficiles à entendre ont tort, changez d’équipe. Si c’est avec eux que vous voulez bosser, prenez ce qu’ils vous disent. Vous ne pouvez pas vivre avec des gens dont vous pensez qu’ils sont au bon poste en continuant à leur faire le déshonneur de ne pas écouter ce qui disent. Recueillir les signaux faibles dans l’organisation, peut-être indirectement parce que c’est délicat de le faire soi-même, avoir recours à une tierce personne, celle à qui l’on peut dire les choses et qui le restituera proprement, est un excellent moyen de « poser des lignes ».
Troisième conseil : « Prenez du temps ! Donnez du temps ! ». On a perdu beaucoup de temps avec Vents Portants par rapport à un chronométrage officiel. Chacun se disait au départ « C’est la crise, on est en manque de temps, et en plus, il va falloir faire des trucs avec Vents Portants ! » Mais en réfléchissant à nos processus de travail, en élaborant les rôles, en ayant une bienveillance collective, on s’améliorait. Donc au fond, on a choisi de perdre du temps et on en a gagné. A la fin, tu récupères des pépites et des fleurs, des résultats qui te ravissent, sauf si tu as un ego qui n’est pas bien maîtrisé. Et quand tu vois cela, tu contemples le résultat. C’est beau au point de le mettre dans mon ciel !
“Se faire aider, c’est un signe de force”