Peux-tu nous présenter ce qu’est le Campus de la Transition?
Le Campus de la Transition est un lieu d’enseignement, de recherche et d’expérimentation, créé en 2018 par un collectif d’enseignants-chercheurs, d’entrepreneurs et d’étudiants, réunis par une volonté commune : promouvoir une transition écologique, économique et humaniste, à l’échelle des enjeux qui bouleversent notre siècle. Notre mission est de générer des prises de conscience des enjeux, de leur interdépendance, et de provoquer une première mise en mouvement. Dans ce cadre, le Campus propose un espace de rencontre avec des personnes qui vivent et expérimentent la transition sur place. Nous portons une invitation à donner une place à l’expérience sensible et spirituelle de la transition, dans le rapport à la nature, une certaine idée de l’homme, du bien commun, source d’engagement et de rapport au monde, précieuse et complémentaire des normes et chiffres.
Toi, plus personnellement, qu’est-ce qui t’a mené jusqu’ici ?
Ce n’est pas une bascule ou un déclic, contrairement à beaucoup d’autres, c’est plus la suite logique de mon parcours professionnel et de mes convictions.
Mon premier travail, après des études de droit, portait sur les rapports entre entreprise et droits de l’homme. J’ai ensuite cherché comme indépendant une nouvelle posture, pour devenir un interlocuteur à la croisée des chemins entre les acteurs de l’entreprise, l’université, les ONG… pour mettre en commun les forces de chacun au service de projets d’intérêt général. Créer ces espaces de rencontre entre acteurs jusque-là un peu défiants me tient à cœur. C’est un clivage encore difficile à résoudre, mais j’ai envie d’y contribuer.
C’est comme ça que je suis entré chez L’Oréal, pour structurer leur démarche de développement durable. J’ai compris qu’il y avait plein de trucs à faire avec l’entreprise, pour développer la conscience et intégrer des gens généreux dans l’aventure. J’y ai finalement passé cinq ans, mais j’ai compris que tout part plus d’une vocation business que d’une volonté d’expérimentation de stratégie plus profondément transformatrices. J’ai eu besoin d’un engagement plus enraciné, radical, au sens d’aller à la racine des problèmes, tout en restant ouvert sur tous les acteurs à accompagner, en restant conscients de leurs freins.
Pourrais-tu revenir sur la notion de radicalité ?
C’est intéressant pour la clarté et la cohérence, et en même temps, ceux qui sont dans des réalités très différentes pourraient s’en sentir exclus ?
La radicalité est en effet un des moteurs du Campus, un élan et ce pour quoi il a été créé : aller puiser au plus profond des enjeux et des éclairages qui en sont donnés pour se transformer, on ne peut pas être soft avec ces sujets.
Mais nous ne voulons pas être exclusifs. Oui, nous cherchons à interpeler par ce projet radical d’enseignants-chercheurs, à dire que le développement durable, ça ne marche pas, qu’une croissance verte, ce n’est pas possible, et ça, évidemment, ça provoque les entreprises. Cette approche génère de l’enthousiasme chez certains individus, et c’est essentiel. En revanche, c’est rare dans les organisations : au mieux ça les questionne, au pire ça les braque. Il y a donc une question d’équilibre à trouver.
Je suis venu ici moi-même pour cette radicalité, mais j’ai à cœur d’avoir l’ouverture la plus large sur le monde hors du campus, sans rejet aucun. Bien sûr, une démarche exclusive est tentante, c’est stimulant, et plus facile, aussi, que de nuancer les choses. Mon propre cap bouge régulièrement, parfois je me dis que l’on devrait être plus autoritaire pour faire bouger plus vite, mais je prends conscience que le monde ne pense pas comme ça. Pour moi, la radicalité est une juste réaction à la superficialité et au déni, et en même temps j’ai un balancier intérieur avec un quotidien que je choisis de continuer de vivre à Paris.
On ne peut enlever personne de l’équation. C’est ma mission, d’ouvrir le campus aux autres acteurs, aux grandes entreprises… avec mon style de vie pas si radical que ça, avec moi aussi mes paradoxes : j’aspire à la radicalité, et j’ai envie de rester connecté au reste du monde. Ma mission est vraiment de vivre entre deux mondes pour être avec tout le monde. Et je vous assure que ce n’est pas une solution de facilité !
En plus de ce lieu, qu’est-ce qui te nourrit sur ce chemin ?
La connexion à d’autres mondes par la lecture, dans ce qu’elle décrit du rapport de l’humain au monde et à l’immatériel, cela me donne une compréhension du monde plus large, une autre vision des relations humain-non humain. Et la philosophie m’aide à comprendre ce qui nous anime, nous lie et nous relie.
Et puis bien sûr, il y a les rencontres ! Au Campus, il y a beaucoup de bénévoles qui passent, très différents, venant chercher de la cohérence entre leur vie et leurs convictions, et cela me nourrit et me touche. Des rencontres avec les précaires, aussi, ça me ramène à la réalité parfois. C’est pour eux aussi, indirectement que j’agis. Cette sensibilité à l’autre me stimule dans mon cap. Ce n’est pas le projet de quelques-uns pour quelques happy few, mais pour un monde en commun avec tous.
Au fond, qu’est-ce que cela apporte de venir au Campus ?
C’est une invitation à la curiosité : il ne faut vraiment pas avoir peur de découvrir la pédagogie et le mode de vie du campus, chacun peut venir, il y a des « journées découverte » gratuites tous les mois, et ça permet de voir que ne vivent pas là des babas cool déconnectés du monde, de prendre conscience de tous nos points communs et de voir que c’est un lieu où il se passe quelque chose. Et bien sûr, on peut aussi s’inscrire à un parcours de formation.Pour une entreprise, c’est se poser des questions et aller voir : elle ne trouvera pas une solution directement, mais pourra démêler les enjeux et se mettre sur un chemin de transformation. Que fait-on comme dirigeant, comme dirigeant de sa vie, aussi, quand on lit les dernières publications du GIEC ? Cela demande du courage, et un premier pas. C’est ça qu’on propose ici. C’est parfois difficile pour un dirigeant de dire « je ne sais pas », ici c’est possible. Venir au Campus, ce n’est pas venir pour être converti, mais pour comprendre et, ensemble, faire un pas.
