Peux-tu nous décrire tes responsabilités actuelles (ton entreprise, ton métier, ton périmètre de responsabilité) ?
Je travaille aujourd’hui dans une entreprise internationale qui s’intéresse à l’homme, qui lui dit « lève-toi et deviens toi-même avec les autres ». Et c’est nouveau pour moi.
Avant, j’étais dirigeant d’une entreprise que j’avais créée il y a vingt-cinq ans. Je venais de la grande distribution, j’avais choisi le négoce, parce que ma vocation était avant tout de vivre avec ma famille et de voir grandir mes enfants, contrairement à ce que je venais d’expérimenter, l’essentiel était de trouver mon unité de vie.
Aujourd’hui, je suis un des quatre dirigeants de Fondacio France. Cela représente vingt régions, deux centres, un à Versailles et un à Angers, qui devient un tiers-lieu dédié à l’écologie intégrale.Nous avons décidé d’une nouvelle gouvernance avec deux femmes et deux hommes, un trentenaire, un quadra, un quinqua et un sexagénaire. Je suis en charge des affaires financières et du modèle économique, dans un monde qui vit de dons, de gratuité et de partage. Quelle aventure !
Quelles ont été les expériences charnières, les rencontres, les événements qui ont nourri ta vie intérieure?
J’ai 56 ans, je suis marié, j’ai grandi d’une façon assez classique.
Le Premier événement , c’est ma promesse scoute. J’ai pris conscience que je pouvais faire des choix personnels, engager mon existence, sur des valeurs, et que je n’y serais pas seul. Les autres prenaient la place première dans ma vie, servir était un absolu. Pendant les dix années suivantes, j’ai été étudiant, puis jeune professionnel, toujours avec beaucoup de questions de sens.
Et puis j’ai rencontré mon associé, avec lequel j’ai vécu 25 ans d’aventure fraternelle. Ce n’est pas un ami et pourtant j’ai vécu plus de temps avec lui qu’avec ma femme. Nous avions tous les deux l’envie de faire du bien au monde. Nous avons vécu une aventure spirituelle ensemble. Et nous avons aussi vécu l’aventure humaine de l’association , comme un couple, comment se dire les choses, comment se pardonner…
J’ai reçu un enseignement sur l’homme tri-dimensionnel, corps-âme-esprit, et j’ai cherché quelle place les trois pouvaient prendre dans l’entreprise, et comment les accompagner. C’était une voie spirituelle, indépendamment de tout cadre religieux : le spirituel, c’est « l’eau qui coule sous un névé », c’est la vie intérieure. Concrètement ? Nous avons créé une salle de silence dans l’entreprise, une façon de dire à chacun « vous avez un espace intérieur à cultiver, même au travail »… On a fait des choses pour le corps autour de l’alimentation, … Et puis des actions pour la connaissance de soi, de l’autre, l’acquisition et le développement de talents. On a réorganisé toute l’entreprise à partir des talents, j’allais au-delà du gentil scout qui voulait servir le monde !
« Lève-toi et deviens toi-même », pour moi, ça veut dire accueille tes talents, mais aussi ton histoire personnelle, tes blessures, qui te font dérailler quand elles se réveillent. Ouvre-toi à ce qui se vit encore plus profondément que les émotions ; au cœur du silence, il y a du dialogue, mais il est brouillé par les blessures, les excès d’émotion, de rationalité, le bruit du monde…
Peux-tu en dire un peu plus sur ce que cela change dans ta façon d’être dirigeant, dans tes difficultés, tes réussites?
Ça change d’abord mon rapport au temps, le fait de ne pas être proactif, mais savoir que les choses vont arriver au bon moment. Je ne voulais pas aller chercher des financements, je ne voulais pas que l’entreprise grossisse par peur de la pression financière qui en découlerait? Les bons CV et les bonnes personnes sont arrivés à chaque moment ! Et les marches avec les clients ont été franchies quand on en était capable. On voulait aller dans la grande distribution mais on ne le faisait pas, on aurait bien aimé aller voir Monoprix, etc. Et c’est Monoprix qui est venu à nous. Et on a assuré parce que l’on avait le bon niveau de maturité, un an avant on aurait tout planté !
Ça a aussi décalé notre rapport aux biens. Avec mon associé, nous avions posé un cadre avant par rapport à l’argent, on savait que ça pose toujours un problème quand il arrive, alors on avait défini notre rémunération maximale, alors même qu’on ne s’est pas payé pendant trois ans. J’ai accueilli progressivement un certain détachement par rapport à ma peur de manquer. On a décidé de ne pas gagner plus de trois fois ce que gagnaient les salariés, et c’est déjà discutable, même si c’était pour rémunérer nos risques, le fait que c’était notre capital…
Et puis il faut sans doute que je vous raconte le moment où j’ai senti que je me désaxais. On a eu des tensions de trésorerie, on a accepté le rachat par un groupe familial, dans lequel on a continué d’assurer la direction. Puis il y a eu une fusion, et là, diriger une usine de sandwichs, ce n’était pas notre métier d’origine, et puis le climat social était particulier. A un moment, j’ai plongé dans ce cadre, mais après trois ans, mes priorités d’être unifié, ma quête de sens, etc., étaient plus loin. Je faisais trois heures de voiture par jour, on n’avait plus de temps de le matin, un troisième dirigeant est venu au milieu de notre relation fraternelle avec Hugues… C’étaient des fondamentaux pour moi qui n’étaient plus là. J’ai mis un an pour m’en rendre compte.
J’avais 50 ans, le nid qui se vidait… J’étais dans ma loyauté avec mon associé, avec ce groupe topissime, mais j’entendais cet appel fondamental à aller ailleurs. Ma femme a accepté que je quitte le groupe et fragilise notre sécurité financière, Hugues a accepté aussi mon départ. Et je suis parti marcher de Vézelay à Assise. Renouveau, silence, traversée, chemin, rencontres… Il y a trois ans, et cela a été fondateur de la suite, même si cela ne se voyait pas vraiment en rentrant. Quand l’eau a été apaisée, ça a posé mon choix d’aller servir une autre vie, écologique, de sobriété, ce qui est un cadre encore inimaginable il y a quatre ans.
Quels sont tes défis et tes aspirations au plan écologique et sociale?
Mon premier défi est de changer en profondeur ma carte mère personnelle. La sobriété est encore loin. L’écologie intégrale voit les enjeux dans leur globalité, j’ai encore à changer, avec ma colère parfois quand l’autre parle…, pour espérer changer les choses autour de moi !
*